Le repos comme résistance et la joie comme libération : redéfinir le travail et la résilience

February 18, 2025

Dans un système économique qui met en priorité la productivité et les bénéfices à court terme, les communautés noires recourent depuis longtemps à la joie et au repos comme sources de libération et de résilience. À l’occasion du Mois de l’histoire des Noir.e.s, des dirigeant.e.s de la communauté B Corp expliquent comment le fait de trouver des moments de joie et de repos malgré la souffrance les aide à stimuler leur créativité et à participer au travail collaboratif.

Les modes de travail établis, créés par des années de primauté des bénéfices, ont encouragé un système qui maximise la main-d’œuvre et minimise le coût humain qui en découle. 

Aux États-Unis, le rôle du travail et de l’entreprise dans la société, ainsi que leurs rapports avec l’égalité et l’humanité, occupent une place centrale dans le thème du Mois de l’histoire des Noir.e.s 2025 : les Afro-Américain.e.s et le travail. L’Association for the Study of African American Life and History (association pour l’étude de l’histoire et de la vie des Afro-Américain.e.s) [en anglais] met l’accent sur l’impact du travail et des diverses façons de travailler sur la vie des personnes noires avec la sélection du thème de cette année : 

« En effet, le travail est au cœur même d’une grande partie de l’histoire et de la culture des Noir.e.s. Qu’il s’agisse du travail agricole traditionnel des personnes africaines asservies qui ont nourri les colonies du pays bas de Caroline du Sud, des débats sur l’importance de la formation professionnelle entre les éducateurs et les éducatrices noir.e.s, des stratégies de croissance personnelle et de l’entrepreneuriat dans les communautés noires, ou du rôle du mouvement syndical dans la lutte contre les injustices économiques et sociales, le travail des personnes noires a été transformateur aux États-Unis, en Afrique et dans l’ensemble de la diaspora. »

La joie et le repos peuvent être perçus comme révolutionnaires dans un monde capitaliste qui exige souvent un travail acharné et une résilience constante. Toutefois, ces composantes importantes de la vie quotidienne ont historiquement constitué une source de résilience, de guérison et de liens pour les communautés noires, un fil conducteur toujours actuel aujourd’hui et qui devra être préservé à l’avenir. 

En tant que communauté qui expérimente de nouvelles manières de travailler et de faire des affaires, les entreprises certifiées B cherchent à redéfinir le capitalisme. Pour souligner le Mois de l’histoire des Noir.e.s, des dirigeant.e.s noir.e.s de la communauté B Corp expliquent comment la joie et le repos leur ont procuré des moments de libération et de résilience, leur permettant de mieux puiser dans leur créativité et de participer au travail et à la collaboration. Aurora Archer, Tynesia Boyea-Robinson, Rod Johnson et Pernell Cezar font part de leurs réflexions basées sur leurs expériences personnelles et professionnelles dans les témoignages suivants. 

Un cadre pour mieux concilier le travail et le bien-être au sein des entreprises

Ce guide du B Lab États-Unis et Canada explore la manière dont le modèle de la semaine de quatre jours s’impose de plus en plus comme un cadre de travail durable qui favorise la résilience du personnel et consolide le résultat net. Il contient des exemples d’entreprises, des leçons tirées d’expériences et des ressources pour aider les organisations à effectuer la transition.

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Le repos comme révolution : se réapproprier la joie et la plénitude dans un système capitaliste

Rédigé par Aurora Archer [en anglais], de The Opt-In

Aurora Archer

Le capitalisme prospère en s’appuyant sur la productivité, l’extraction et la poursuite acharnée de l’efficacité. Ce système est conçu pour récompenser le rendement plutôt que le bien-être, pour privilégier le travail par rapport à l’humanité, et, en particulier dans le cas des personnes noires, pour dévaloriser le repos en le considérant comme un acte de défiance plutôt qu’une nécessité. Pendant beaucoup trop longtemps, j’ai fonctionné en étant guidée par la croyance profondément ancrée que mon mérite était étroitement lié à ma productivité, que ma capacité à travailler, à créer et à contribuer était ce qui me donnait de la valeur. J’ai seulement compris que le repos n’est pas un luxe lorsque j’ai commencé à déconstruire ce conditionnement, à désapprendre cet héritage historique de l’épuisement. Il s’agit d’un acte radical d’autoconservation, une limite essentielle à la plénitude et la base de la véritable créativité et de l’innovation.

L’héritage de l’épuisement

En grandissant, je n’ai jamais vu mon père prendre de vacances. Il a travaillé sans relâche, occupant plusieurs emplois, travaillant souvent six jours par semaine, et s’accordant rarement une pause, voire jamais. Son éthique de travail était admirable, mais elle reflétait également un système qui exigeait de lui plus qu’il n’avait l’intention de lui redonner. Il s’agissait d’une histoire commune chez les familles noires : des générations de labeur sans répit, un sentiment enraciné que le repos est un luxe, ou même un danger, et qu’il faut être perpétuellement en mouvement pour survivre. Ceci m’a inculqué la croyance que mon mérite était étroitement lié à ma capacité de produire. Que si je ne travaillais pas, je ne contribuais pas. Et que si je ne contribuais pas, je ne valais rien.

Il ne s’agit pas d’une vulnérabilité personnelle, mais d’un problème systémique, d’une question ancrée dans l’exploitation de la main-d’œuvre noire. Du temps de l’esclavage et du métayage à aujourd’hui, une époque caractérisée par une économie à la demande et une culture du travail acharné dans les entreprises, l’idée que les personnes noires doivent travailler deux fois plus dur pour recevoir la moitié du mérite persiste. Comme l’écrivaine Tricia Hersey, fondatrice de l’organisme The Nap Ministry, l’a affirmé, « le repos est une forme de résistance parce qu’il déstabilise et s’oppose au capitalisme et à la suprématie blanche ».

Pour mes ancêtres noir.e.s, l’épuisement a longtemps été normalisé et attendu. Notre travail a été extorqué pendant des siècles, et le capitalisme nous a conditionné.e.s à considérer le repos comme de la paresse plutôt qu’une libération. Mais, j’ai été amenée à l’envisager différemment. Mon père n’a jamais pris de congés, moi si. Et, en ce faisant, je lui rends hommage, non en répliquant son épuisement, mais en brisant le cycle. En choisissant le repos, je choisis la vie.

Le repos comme acte révolutionnaire

M’autoriser à me reposer a constitué l’un des actes de réappropriation les plus radicaux que j’ai accomplis. Mais, cela ne s’est pas produit du jour au lendemain. La déconstruction de la croyance que mon mérite est uniquement lié à ma productivité a pris des décennies : des années de thérapie, une introspection profonde et une vigilance constante pour reprogrammer mon état d’esprit et cultiver un amour de soi qui ne dépend pas de mon rendement. Le conditionnement est ancré profondément. Encore aujourd’hui, je dois parfois me rappeler que me reposer ne constitue pas une trahison de mon ambition, mais en est une composante essentielle.

Le repos n’est pas simplement une question de sommeil ou de congés : il implique de créer des limites qui affirment notre valeur intrinsèque au-delà de ce que nous faisons. Il s’agit de reconnaitre que la joie, les loisirs et l’amusement ne constituent pas un luxe, mais qu’ils sont essentiels à notre humanité. Selon les termes de bell hooks, « le choix du mieux-être est un acte de résistance politique ». En faisant de notre bien-être une priorité, nous rejetons l’idée selon laquelle notre valeur dépend de notre travail.

Le pouvoir créatif du repos

L’innovation ne prend pas sa source dans le surmenage. La créativité ne peut pas s’épanouir dans l’épuisement. Certaines de mes idées et de mes inspirations les plus profondes ne sont pas nées quand je travaillais avec acharnement, sans relâche, mais lorsque je m’autorisais à me poser, à écouter et à exister simplement, sans aucune attente. En nous reposant, nous laissons nos esprits vagabonder et faire des recoupements d’informations qui, autrement, pourraient nous échapper. Les neuroscientifiques ont découvert que le repos active le réseau du mode par défaut du cerveau (MPD) [en anglais], la région cérébrale qui est responsable des idées et de la résolution créative de problèmes. En d’autres termes, le repos stimule l’innovation.

J’ai constaté de première main comment le fait de prendre du recul, c’est-à-dire faire une pause, respirer et recalibrer, m’a permis de créer de l’espace pour accomplir un travail de la plus grande qualité. Le monde nous affirme qu’il faut pousser plus loin, faire plus, être plus. Cependant, j’ai découvert que j’atteins ma pleine capacité lorsque j’honore le rythme du repos et de la restauration.

Se reposer est devenu un acte de confiance en soi. C’est une affirmation que je suis suffisante comme je suis, sans devoir prouver ma valeur par un rendement sans fin. Il s’agit d’une déclaration que mes ancêtres n’ont pas vécu autant de souffrances pour que je fasse simplement survivre; ils les ont endurées pour que je puisse m’épanouir. Et, pour s’épanouir, il faut se reposer.

Un appel à se réapproprier le repos

Pour se reposer en tant que personne noire dans une société capitaliste, il faut remettre en question le système lui-même. Il s’agit d’affirmer que nous ne sommes pas des machines, que nous ne sommes pas jetables et que notre rendement n’est pas la seule chose qui nous définit. C’est un appel à réécrire l’histoire dont nous avons hérité pour en adopter une nouvelle déclarant que notre joie, notre plénitude et notre bien-être sont des actes révolutionnaires en eux-mêmes et par eux-mêmes.

Nous méritons de nous reposer. Nous méritons de rêver. Nous méritons d’occuper l’espace d’une manière qui n’est pas liée à notre travail. Nous méritons d’avoir des vies remplies de créativité, d’imagination, de joie et d’aisance, pas seulement comme une récompense pour notre travail acharné, mais parce que nous en sommes intrinsèquement dignes.

Mon père n’a jamais pris de vacances. Moi, j’en prends. Et par cet acte, je lui rends hommage, je m’honore et je rends honneur aux prochaines générations.

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Une bibliothèque de ressources pour toutes les entreprises

Le B Lab États-Unis et Canada propose une nouvelle bibliothèque de ressources! Vous pourrez y trouver des ressources pour les entreprises qui cherchent à améliorer ou à renforcer leur impact, pour celles qui poursuivent le parcours de certification ou de son renouvellement, et bien plus encore.

OBTENIR DES RESSOURCES [EN ANGLAIS]

Prendre du temps pour les moments de joie

Rédigé par Rod Johnson [en anglais] et par Pernell Cezar Jr. [en anglais], de BLK & Bold

Pernell Cezar Jr. et Rod Johnson

La joie est une question de survie. Dans nos communautés, trouver de la joie, que ce soit dans la musique, la nourriture ou même dans la première tasse de café du matin, c’est se réapproprier notre temps et notre esprit dans un monde qui essaie bien trop souvent de les accaparer. BLK & Bold a été fondée sur cette base. Au travers de notre entreprise, nous souhaitons rappeler à tout le monde que nous méritons de prendre un moment pour nous-mêmes afin de faire une pause, réfléchir et nous revitaliser. Encore mieux, chaque tasse infusée devient une occasion de redonner, de contribuer à soutenir des initiatives communautaires et à ouvrir des voies pour la prochaine génération. Chaque gorgée est un clin d’œil à la résilience et à la créativité qui ont permis aux communautés noires de continuer d’avancer.

Nous avons créé BLK & Bold avec la croyance que la prospérité ne doit pas s’obtenir au détriment du bien-être, qu’il s’agisse du nôtre ou de celui d’autres personnes. C’est pour cette raison que nous nous sommes engagés à nous approvisionner auprès de sources éthiques, en veillant à ce que les caféiculteurs et les caféicultrices avec lesquel.le.s nous travaillons reçoivent un traitement et une rémunération équitables. Il s’agit également de la raison pour laquelle la flexibilité et l’équilibre de notre équipe sont une priorité, car nous comprenons que le repos est aussi important que le rendement. Le système actuel glorifie l’épuisement. Cependant, nous savons qu’une prospérité durable nécessite du temps pour se reposer, réfléchir et créer. En tant que B Corp, nous sommes déterminés à prouver qu’une entreprise peut à la fois avoir un impact et donner une place centrale aux personnes.

L’écart de richesse raciale n’a pas été créé par accident : il s’agit du résultat de générations d’obstacles systémiques, d’inégalités salariales et d’exclusion des occasions. Nous reconnaissons que nous sommes une partie de la solution et nous fonctionnons en assumant cette responsabilité. Et ceci commence à l’interne, en s’assurant que notre équipe perçoive un salaire équitable et dispose de possibilités de croissance. Mais cela ne s’arrête pas là. Nous réinvestissons dans les communautés noires et mal desservies par l’intermédiaire de notre initiative For Our Youth (pour nos jeunes) qui verse cinq pour cent de nos bénéfices à des organismes axés sur le développement professionnel, le mentorat et la mobilité économique. Le droit de se reposer dépend de la sécurité financière et nous utilisons notre plateforme pour aider à la créer de manière concrète.

Joie et souffrance

Rédigé par Tynesia Boyea-Robinson [en anglais], de CapEQ

Tynesia Boyea-Robinson

J’ai grandi au sein de la communauté d’une église et un grand nombre de nos chansons bien-aimées évoquent le ying et le yang de la joie et de la souffrance. Qu’il s’agisse de Still I Rise [en anglais] de Yolanda Adams ou de Trouble Don’t Last Always [en anglais] du révérend Timothy Wright, il nous était souvent rappelé que « les pleurs peuvent durer une nuit, mais la joie vient avec le matin ». Je n’oublierai jamais les paroles de notre pasteur qui expliquait à notre congrégation la différence entre la joie et le bonheur :

« Le bonheur est fugace et temporaire. Mais, la joie est la compréhension profonde et ancrée que toute arme forgée contre vous sera sans effet. »

J’ai récemment codirigé une séance privée pour des collègues touché.e.s par la flambée de mesures administratives contre les programmes et les politiques de diversité, d’équité et d’inclusion [en anglais]. Mon cœur s’est pratiquement brisé quand j’ai écouté mes collègues raconter la manière dont les dernières semaines chaotiques les ont affecté.e.s. 

Une petite entreprise a perdu un contrat pour soutenir des enfants scolarisé.e.s d’une valeur d’un million de dollars parce que son site Web contenait le terme « équité ». Il a été recommandé à un médecin de « surveiller les patient.e.s et de modifier leurs dossiers » si le sexe à la naissance ne correspondait pas à leur identité de genre. Un enfant de personnes immigrantes s’est suicidé, car il craignait d’être déporté. Les larmes et la souffrance étaient palpables. Je pouvais sentir le groupe tomber dans un état de désespoir.

C’est à ce moment-là que l’un.e des autres co-intervenant.e.s de la séance a rappelé au groupe l’importance des chansons pour le Mouvement américain des droits civiques. Pour m’être assise sur les bancs de mon église, je sais que la musique nous permet d’entrer en contact avec nous-mêmes, mais aussi avec la communauté qui nous entoure. Grâce aux chansons, nous avons la capacité d’exprimer nos sentiments les plus profonds, la douleur, la colère, la foi et la détermination, ainsi que de les voir et de les entendre se refléter autour de nous. 

Bien trop souvent, dans les conversations relatives aux mouvements, les gens passent directement à l’étape de la victoire. Au lieu de cela, et en particulier maintenant, alors que tant de gens sont affligé.e.s, nous ne pouvons pas oublier la profondeur indescriptible des souffrances endurées par les personnes qui avancent pour obtenir justice. L’explosion de la bombe dans l’église baptiste de la 16e rue [en anglais] a causé la mort de quatre enfants et de nombreuses autres personnes. Cet acte violent et haineux est considéré comme un tournant décisif dans le Mouvement des droits civiques. Tandis que cette tragédie mobilisait notre pays autour de la justice, nous ne devons pas oublier que les familles de Denise McNair, 11 ans, Addie Mae Collins, 14 ans, Carole Robertson, 14 ans, et Cynthia Wesley, 14 ans, pleuraient la perte de leur enfant. Et c’est un pays aux prises avec l’horreur de cette perte qui a libéré notre humanité commune et qui nous a forcé.e.s à changer. 

En tant que combattant.e.s dans le Mouvement des droits civiques actuels, nous devons nous rappeler que le fait de trouver de la joie ne signifie pas de masquer sa souffrance. Cela implique de l’honorer et de l’accepter. De ressentir l’injustice et la colère. De pleurer lorsque l’on a mal. Et de ne pas oublier que nous trouvons de la joie dans la compréhension profonde et ancrée que nous surmonterons ces épreuves.

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