La semaine de travail de quatre jours et l’humanité au travail

August 11, 2023

Cet article présente les points de vue personnels des employé.e.s du B Lab États-Unis et Canada. Dans cette série, nous invitons les employé.e.s du B Lab à partager leurs expériences, leur inspiration, leurs espoirs et leurs défis dans le cadre de leur travail pour créer un monde plus inclusif et régénérateur. Cette édition des voix du B Lab est signée Devin Nelson, avec les contributions de ses collègues Denise Jones, Menucha Frischling et Marielle Martin.

Dans ce que Jorge Fontanez du B Lab États-Unis et Canada a décrit comme « un moment inattendu de pure joie », l’équipe a récemment approuvé une proposition visant à essayer une semaine de travail de quatre jours. En utilisant le modèle 100-80-100, les employé.e.s du B Lab États-Unis et Canada recevront 100 % de leur salaire en travaillant 80 % de leurs heures normales, et tout en maintenant 100 % de leur rendement habituel.

Si vous examinez l’histoire de la semaine de travail de 40 heures , c’est assez arbitraire. La semaine de travail de quatre jours nous met au défi de nous débarrasser des tâches de « remplissage » inutile et de nous concentrer sur les activités nécessaires du poste : maintenir notre flux de travail tout en supprimant des futilités. Cela repose sur la confiance que les employé.e.s feront le nécessaire au cours d’une semaine donnée, et l’horaire aide également à fournir un meilleur équilibre afin que les employé.e.s viennent au travail en se sentant plus dynamiques et moins épuisé.e.s. 

La décision de mettre à l’essai une semaine de travail de quatre jours au B Lab États-Unis et Canada est ancrée dans des preuves irréfutables démontrant ses avantages pour les employeurs, les employeuses, les employé.e.s et l’ensemble de l’entreprise. Un récent projet pilote mené par l’organisme 4 Day Week Global, auquel près de 3 000 employé.e.s ont participé, a révélé que 92 % des entreprises participant au projet pilote ont choisi d’adopter la semaine de quatre jours de manière permanente.

La proposition a été présentée par moi-même, Menucha Frischling, Marielle Martin, et Denise Jones et a été approuvée à l’unanimité lors d’une retraite du personnel de toutes les équipes plus tôt cette année. Même si les preuves utilisées dans la proposition sont ancrées dans des données et des essais, l’introduction de la semaine de travail de quatre jours au B Lab États-Unis et Canada était en fait une histoire assez personnelle pour nous quatre. 

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L’avenir du travail, c’est aujourd’hui

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À l’origine de la proposition : créer de l’espace pour se frayer un chemin au milieu des complexités de la vie

Dans une enquête de 2021, « 84 % des employé.e.s déclarent qu’ils et elles le pensent rarement lorsqu’ils et elles disent aller bien. » Au cours des dernières années, j’ai eu du mal à croire que nous nous présentions toujours au travail cinq jours par semaine (ou plus) comme si de rien n’était alors que nous étions confronté.e.s à certaines choses dans notre vie personnelle. Beaucoup d’entre nous font tenir notre humanité dans deux maigres journées : nettoyage, courses, parentalité, deuil, traumatisme, prise en charge de personnes dépendantes, soins personnels, repos… et la liste ne s’arrête pas là.

Martin a commencé sa carrière au B Lab États-Unis et Canada en 2019 pour travailler sur le rassemblement annuel de la retraite des champion.ne.s. La mise en place de cet événement n’est pas une mince affaire. Elle est arrivée au B Lab dans des circonstances stressantes, faisant le choix difficile de déménager à Philadelphie et d’accepter le travail après s’être occupée pendant deux ans de sa mère, atteinte de sclérose en plaques, et de sa grand-mère, une source de soutien dans sa vie.

« J’étais en train de travailler le mardi 30 juillet 2019 lorsque j’ai reçu des appels consécutifs qui m’ont fait sortir de l’état second dans lequel j’étais plongée pour la planification de la conférence », se souvient Martin. Elle est rapidement rentrée chez elle ce jour-là. « C’était le dernier jour que je passais avec ma grand-mère. Avec la femme qui a aidé à m’élever et qui fut un véritable ange dans ma vie. »

Malgré la tristesse et le chagrin, Martin a tenu à continuer d’aider à préparer la retraite des champion.ne.s. Elle est retournée à Philadelphie et s’est concentrée sur l’application de la conférence. Peu de temps après, elle a eu une réunion impromptue avec une collègue et a dû faire face à sa colère et à sa frustration. « Elle a épilogué et s’est plainte pendant plus de 30 minutes, mettant fin à l’appel brusquement et me laissant abasourdie. Des larmes coulaient de mes yeux. Je ne m’étais jamais sentie aussi négligée, invisible et sous-humaine. »

Lorsque vous relevez le rideau sur les « je vais bien », vous pouvez trouver beaucoup de gens essayant de se frayer un chemin au milieu des complexités de la vie et cherchant juste un peu d’espace pour se rappeler que c’est OK d’être une personne humaine. Le capitalisme tel que nous le connaissons nous a conditionné.e.s à mettre les choses de côté et à consacrer plus d’heures au travail. Il nous a appris que le deuil est une expérience réservée uniquement aux membres de la famille immédiate et devrait être limitée à deux semaines, que nous devrions accepter de travailler plus pour moins, que les soins de santé se méritent et que deux semaines de vacances et de congés de maladie, c’est bien assez. Et il nous a enseigné que toutes nos difficultés n’ont pas d’importance, parce que le travail est un moyen de survie et que nous n’avons pas de filets de sécurité.

Se souvenant de sa vie professionnelle avant la pandémie de COVID-19, Jones déclare : « Avant que le travail à domicile ne soit plus largement répandu aux États-Unis, je vivais là où je travaillais. En tant que directrice de résidence, j’ai eu le grand plaisir de résider dans l’un des édifices que je supervisais. Mon trajet était rapide, à une minute de marche dans le couloir, et je ne payais pas de loyer ni de services publics, un avantage en échange de ma proximité. En plus de la semaine de travail traditionnelle de 40 heures, je participais à une rotation de services d’intervention d’urgence sur appel 24 heures sur 24. Punaises de lit, problèmes d’installations, conflits entre colocataires, crises de santé mentale, agressions et même décès, j’ai tout géré. Ajoutez à cela la misogynie associée à un plafond de verre. La combinaison du traumatisme et du déséquilibre travail-vie personnelle m’a conduite à l’épuisement professionnel et à ma démission éventuelle. »

Entendre ces histoires me rappelle le mois de janvier de cette année, lorsque mon père était malade. J’ai regardé autour de la salle d’attente de l’unité de soins intensifs, et tout le monde autour de moi était au téléphone pour le travail. Alors que le B Lab États-Unis et Canada était incroyablement gentil avec moi et que je pouvais prendre un congé chaque fois que j’en avais besoin, le système lui-même était ancré en moi. Travailler plus, s’occuper en permanence, ressentir moins de choses, ne pas prendre de pauses, garder mes sentiments pour quand j’aurais le temps. Mais, je n’ai pas le temps. Nous n’avons littéralement jamais le temps.

Que se passe-t-il quand des personnes remettent en question cette notion? Et lorsque ce sont des entreprises qui s’interrogent à son sujet?

Jones a réfléchi à l’état d’esprit qu’elle a apporté au B Lab États-Unis et Canada : « Après une période de rétablissement mental et physique, j’ai réintégré le marché du travail avec clarté. Si je dois participer au capitalisme pour essayer de survivre au cœur d’une pandémie mondiale exacerbée par les inégalités raciales, cela ne peut tout simplement pas être en continuant de travailler comme si de rien n’était. »

Comme Martin l’a exprimé : « J’ai fait l’expérience de la valeur du travail et de la productivité par rapport à celle d’une personne ce jour-là. Ma collègue ne savait pas que je venais de perdre ma grand-mère. Elle ne savait pas que je travaillais pour l’aider avant de devoir prendre plus de temps de congé. Ses intentions n’étaient pas de me faire plus de mal ou de me faire sentir sous-humaine et comme une machine. Cependant, l’impact était là. Et que nous connaissions ou non les détails intimes de la vie de nos collègues de travail ne devrait pas avoir d’importance. Nous devrions toujours faire preuve de gentillesse et de grâce, et donner de l’espace et de l’attention de toute façon. »

J’ai beaucoup réfléchi ces derniers temps à comment cet état d’esprit capitaliste moderne a influencé les façons néfastes au travers desquelles je me manifeste, pour moi-même et pour les autres, et ce qu’il nous a appris à croire en tant que société au sujet de ce que nous valons. Combien de fois nous a-t-on dit que demander peu, c’est en demander trop?

Je dois donc poser la question : et si nous prenions tous et toutes collectivement du recul et déclarions que la valeur d’une personne ne se définit pas par notre « productivité », mais que nous acceptions plutôt que nous sommes déjà suffisant.e.s lorsque nous nous présentons chaque jour en prenant soin de nous-mêmes, des autres, et de la planète? Et à quoi ressemblerait un système qui soutiendrait cette façon de penser?

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Amélioration des impacts grâce à la collaboration

Ce guide téléchargeable du B Lab États-Unis et Canada présente des exemples de collaboration de B Corp pour aider davantage d’entreprises et d’organisations à trouver des moyens d’aller au-delà de leur propre impact dans le but de soutenir d’autres entreprises, des membres de la communauté, et bien d’autres.

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Regard vers l’avenir : évaluer, mettre au point et partager les informations

Au B Lab États-Unis et Canada, nous continuons de chercher des moyens de faire preuve d’humanité au travail. Jones réfléchit à sa situation professionnelle et personnelle actuelle : « Aujourd’hui, les choses sont très différentes. Notre style de travail à distance m’offre la flexibilité du choix. Je peux travailler à domicile, dans nos centres ou à l’international. Le mouvement est mondial. » De plus, le B Lab États-Unis et Canada offre des congés personnels et de maladie illimités, deux semaines de bien-être organisationnel et un programme de congé sabbatique après quatre années d’ancienneté. 

Frischling réfléchit à la transition vers la semaine de travail de quatre jours : « Au début, je pensais que la semaine de travail de quatre jours serait difficile. J’entends des personnes dire qu’elles ont du mal à gérer les réunions et le travail à faire. Il faudra une période d’ajustements pour se sentir à l’aise de se reposer et toujours utile même si vous n’assistez pas à une réunion. Et je pense que ces sentiments inconfortables sont une occasion pour nous de faire une véritable introspection et de nous demander pourquoi nous ressentons ce malaise, et si c’est une chose sur laquelle nous voulons travailler dur pour changer de point de vue? »

Martin explique comment cette flexibilité a eu un impact positif sur son travail : « Tout en bénéficiant d’une plus grande flexibilité et d’une plus grande sécurité économique, la valeur de mon travail a augmenté. » Martin est maintenant gestionnaire du programme de l’équité raciale. Elle a créé plusieurs programmes essentiels qui soutiennent les personnes autochtones, noires et de couleur, et qui aident les B Corp à instaurer des pratiques plus justes. « Lorsque nous mettons l’humanité au cœur de notre travail, nous ne sacrifions pas la qualité de notre produit. Au lieu de cela, nous augmentons la créativité, la loyauté, l’ingéniosité et la joie de nos employé.e.s, ce qui se traduit par un énorme succès organisationnel. »

Au-delà de l’essai, il est possible d’étendre la semaine de travail de quatre jours à une initiative à longueur d’année au B Lab États-Unis et Canada. Comme Fontanez l’a mentionné dans une publication sur LinkedIn pour annoncer le changement : « Nous allons observer ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, pour utiliser éventuellement ces informations afin de mettre en place au niveau des opérations cet horaire de manière permanente d’ici 2025. »

Frischling entrevoit une occasion de déploiement au-delà du B Lab États-Unis et Canada. « J’espère que d’autres entreprises suivront. J’espère que les gens commenceront à aborder ces changements avec ouverture d’esprit, plutôt que de dire de manière automatique : “Nous ne pouvons pas”. »

Tandis que le B Lab États-Unis et Canada va de l’avant avec ce projet pilote, nous évaluerons la situation et nous effectuerons des mises au point au besoin. Nous partagerons nos expériences afin que d’autres puissent apprendre d’elles aussi. Avant la première semaine de l’essai, j’ai envoyé un rappel au personnel par l’entremise de Slack, et les collaborateurs et collaboratrices ont célébré avec une rafale d’émoticônes de réactions, souvent sous la forme de blobs multicolores en train de danser. Lindsey Wilson, directrice associée de la croissance, a pris un instant avant de commenter la publication pour réfléchir. Je vais donc terminer avec son observation :

« J’aimerais nous imaginer tous et toutes dans 10 ans, un avenir où la norme de chaque organisation pour ses employé.e.s serait de ne pas dépasser 32 heures de travail par semaine. Les concepts, les projets pilotes et les essais peuvent devenir des normes, et c’est ainsi que tout commence. » 

Vous souhaitez en savoir plus sur la façon d’implanter une semaine de travail de quatre jours dans votre organisation? 

Jon Leland, directeur de la stratégie chez Kickstarter et fondateur du projet The 4 Day Workweek Campaign (campagne pour la semaine de travail de quatre jours), présentera un aperçu de ce à quoi ressemble le passage à une semaine de travail de quatre jours, les dernières recherches issues d’un certain nombre de grandes études pilotes menées à travers le monde au cours des dernières années, des conseils pour commencer une conversation sur votre lieu de travail au sujet d’une transition vers une semaine de travail de quatre jours, et comment participer au prochain programme pilote aux États-Unis.

Continuez de lire au sujet de la campagne pour la semaine de travail de quatre jours et participez au webinaire le 26 juillet. 

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